J'ai l'impression que ce qui se passe médiatiquement parlant autour de Ségolène Royal est particulièrement emblématique de l'accroissement de dérives journalistiques qui ne datent pourtant pas d'hier.
L'exposition médiatique dont bénéficie la bougresse est proprement ahurissante. Plus ça va, et plus chacun de ses faits et gestes sont systématiquement disséqués à la recherche de petites phrases entraînant des heures de commentaires et de faux débats. Sa visibilité est supérieure à celle de tous les autres candidats potentiels, qu'ils soient du PS ou non. Le camp médiatique semble (pour l'instant) avoir choisi son camp, ce qui, au passage, en dit long sur le degré de subversion et de dangerosité des Royalistes.
Un premier phénomène bien connu et intéressant à observer est celui de la pompe qui s'auto-alimente. On ne parle que de Ségolène Royal, on ne voit que Ségolène Royal, et ensuite on demande à des instituts de sondage de téléphoner rapido à 900 français pseudo-représentatifs pour leur demander qui ils verraient plutôt comme candidats socialos. Et là, incroyable, la majorité répond "Ségolène Royal". Evidemment pas par conviction, mais qu'est-ce que vous voulez répondre d'autre si vous n'êtes pas vous-mêmes membre du PS et partisan d'un autre candidat ? Que répondraient des sympathisants de droite à la question "Quel est pour vous le meilleur candidat aux présidentielles de Lutte ouvrière" ?
La déferlante médiatique qui a suivi les propos ségolènistes sur la délinquance des mineurs s'inscrit dans cette dynamique-là. Sans revenir sur le fond du problème (certains l'ont déjà très bien fait), au moins cette réaction pouvait se pseudo-justifier par l'étonnement de trouver des idées d'extrême-droite chez un candidat que seuls les médias désignent encore comme de gauche.
Mais là où ça devient à mon avis proprement phénoménal, c'est la réaction qui a suivi concernant les propos Royalistes sur les 35 heures. J'ai un peu écouté la radio hier soir, et la publication de quelques lignes à ce sujet sur le site web (prétentieux) de la présidentiable a fait la une de presque tous les flashs infos. Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est l'absence totale d'analyse des propos en question : en général, l'info consistait à dire "Ségolène Royal a critiqué les 35 heures", parfois on avait droit à la précision "car elle estime que la mesure a été défavorable aux plus fragiles", pour ensuite enchaîner directement sur des réactions politiques, notamment de l'UMP se félicitant que l'égérie socialiste se rapproche encore un peu plus du programme de Sarkozy.
Et là, franchement, il y a quelque chose de totalement absurde. Car si on regarde ce qu'a réellement écrit Ségolène Royal sur les 35 heures, et même si ça me fait mal de le dire, et bien c'est loin d'être con. C'est même de mon point de vue tout à fait exact. Je suis personnellement satisfait des 35 heures, comme la plupart des "cadres", car j'ai droit à mes jours de RTT supplémentaires sans augmentation de cadence particulière. Mais ça n'est évidemment pas le cas de ceux qui ont vu cette soit-disant avancée sociale s'accompagner d'un passage aux trois-huit, en horaires décalsé, ou d'une annualisation du temps de travail. Tout ceci avait déjà été largement dénoncé par la "vraie" gauche au moment de la mise en place des trente-cinq heures, et l'est encore de manière très convaincante à l'intérieur même du PS, par des gens qui ont la particularité de savoir de quoi ils parlent.
Les propos Royalistes sur les 35 heures n'ont donc rien à voir avec ceux qu'elle a tenu sur la délinquance des mineurs. Ils en sont même le parfait opposé. Mais aucun média de masse n'a eu l'air de s'en apercevoir : c'est proprement effarant. C'est comme si le neurone journalistique collectif, convaincu trois jours auparavant que Ségolène Royal était devenu sarkozyste, était incapable d'analyser un nouvel élément allant dans une autre direction. Ceci en dit (encore un peu plus) long sur la manière dont les médias peuvent parfaitement nier la réalité la plus évidente si celle-ci ne cadre pas exactement avec leur vision du monde a très court terme.
À ce niveau-là, on ne peut même plus qualifier la pensée journalistique de masse de désert : le Sahara parvient encore, lui, à abriter certaines formes de vie.